Conseils sur l’open Innovation par le Directeur de la Recherche de l’Université Paris Saclay

Cet interview à été réalisé dans le cadre de la sortie du dernier ouvrage de Jean Pierre Bouchez, PhD, Créateur de PlaNet S@voir, Directeur de recherche (HDR) au Laboratoire Larequoi, Université de Paris-Saclay : ” Innovation collaborative : la dynamique d’un écosystème prometteur”. En savoir plus ici

Quel est votre parcours, votre poste au sein de l’Université Paris Saclay et PlaNet S@voir ?

Je suis comme on dit, un travailleur « hybride » au sens où je combine des activités de recherche et des activités de praticien (conseil et conférences). Cela s’explique parce que ma carrière s’est déroulée successivement dans trois mondes combinés (je suis actuellement dans le troisième) : celui de l’entreprise privée comme DRH, celui du conseil comme associé, et celui de l’académique en tant que directeur de recherche à l’université Paris-Saclay.

J’ai par ailleurs développé parallèlement à mes travaux de recherche, une petite structure, PlaNet S@voir, pour réaliser mes activités de conférencier et d’appui aux entreprises. Je suis ainsi convaincu que la combinaison d’activités théoriques et opérationnelles contribuent à enrichir la capacité à décrypter les organisations dans leurs différentes dimensions interactives : stratégie, management, organisation, enjeux, etc. Et à les faire ainsi partager en interaction avec des dirigeants, des managers et des chercheurs, de manière à ce que chacun s’enrichisse collaborativement.

Cela traduit le caractère cumulatif du savoir, au sens où il est susceptible de générer et d’engendrer, notamment à travers ces échanges interactifs, la production de nouvelles connaissances et de nouvelles idées.

Comment donner envie à des entreprises d’ouvrir leurs R&D à l’externe de façon sécurisée et efficace ?

Je me permets de répondre plus largement à cette question pertinente en l’élargissant à l’externe et à l’interne pour bien en saisir ses enjeux.

Il y quelques années déjà, les dirigeants et managers avertis ont compris, notamment dans la mouvance des travaux de l’américain Henry Chesbrough, la nécessité d’ouvrir leur R&D à l’externe. Chesbrough a en effet  popularisé le terme d’Open Innovation, dans un best seller publié en 2003. Il définit cette notion comme « l’utilisation intentionnée des flux internes et externes, pour accélérer l’innovation interne et élargir les marchés  pour l’utilisation externe de l’innovation ».

Ainsi, le processus d’innovation est articulé, combiné et alimenté par deux processus couplés : l’Outside in (captation des idées internes à l’entreprise) et l’ Inside out (principalement par une valorisation de sa propriété intellectuelle en commercialisant ses brevets). Ainsi avec l’Outside in Chesbrough montrait bien l’intérêt que peut avoir une entreprise à faire appel à des parties prenantes extérieurs (notamment des clients, des fournisseurs, etc.), pour stimuler et développer l’innovation en interne et amorcer la notion d’écosystème innovant. En d’autres termes, les processus d’innovation ne peuvent désormais restés « enfermés » au sein des seuls grands labo, au prétexte que les innovations n’ont pas été inventées dans ce cadre… « Not Invented Here », pour NIH, selon l’expression consacrée.

Mais cette démarche va, notamment dans la période récente, aller bien au-delà, en particulier, de la part de grands groupes éclairés, à l’image de Dassault Systèmes, très en pointe sur ce sujet, mais bien d’autres également, comme certains groupes bancaires. En effet, sous l’influence de « l’esprit start up », de nouvelles formes d’innovations collaboratives se sont ainsi développées au sein même de certaines grandes firmes, à travers plusieurs dispositifs : fablabs internes, espaces de corporate coworking, accélérateurs et incubateurs internes, plateformes d’innovation collaboratives internes, démarches intrepreneuriales, etc. En paraphrasant et en prolongeant les termes de Chesbrough, on pourrait alors utiliser l’expression d’Inside-in

Quels sont les 4 niveaux d’espaces interactifs qui composent la notion d’écosystème ?

J’ai en effet proposé d’identifier quatre niveaux d’espaces interactifs qui sont positionnés et sommairement décrits, sous la forme du tableau qui suit, soulignant ainsi leurs niveaux d’agrégation écosystémiques respectifs qui s’emboitent pour favoriser cette dynamique. Cela va du niveau Méta, sur un large territoire agglomératif, jusqu’au niveau Micro, dans le cadre d’espaces dédiés au sein d’entreprises.

Dans la suite de la réponse aux questions nous ne développerons pas le niveau Méta-écosystémique, dont le prototype est naturellement constitué depuis longtemps par la Silicon Valley. Mais il convient à ce propos de relever que la croissances des externalités négatives : coût croissant de l’immobilier, surcharge des réseaux de transports et embouteillages, nuisances sonores, etc.

Méta-écosystémiqueEspaces géographiquement concentrés dans le cadre d’agglomérations économiques et de clusters (start-up, centres de recherche, universités, grandes firmes, etc).
Macro-écosystémiquePartenariats coopétitifs innovants, gravitant autour d’une firme pivot leader, dont le cœur est le plus souvent positionné au sein d’espaces Méta-écosystémiques.
Méso-écosystémiqueEntreprises dont les dirigeants favorisent et promeuvent un climat favorable à la culture de l’innovation ouverte et à la prise de risque : démarches intrepreneuriales internes, pratiques d’incubations internes, etc.
Micro-écosystémiqueEspaces dédiés d’entreprises inspirants et transformants, relativement permissifs, dédiés spécifiquement à l’innovation collaborative, voire disruptive. C’est le cas typique de la famille des fablabs, mais aussi des espaces de corporate coworking.

Pour être complet sur cette question, il me semble utile de présenter également sous la forme de tableau synthétique, les cinq composantes combinées et interactives qui me semblent devoir caractériser un écosystème innovant. Il s’agit : du contexte général, des lieux, des liens, des acteurs et des projets. Il s’agit donc pour les organisations de favoriser autant que faire se peut, la prise en compte de ces composantes en vue de leur articulation, de manière à favoriser les pratiques d’innovation collaborative. Le tableau qui suit les décrit donc de manière ramassée.

Contexte généralEnvironnements nécessairement favorables à l’innovation autour d’une « atmosphère » technologique, intellectuelle et de business, à l’exemple des clusters industriels.
LieuxEspaces géographiques dont l’étendue varie suivant les différents niveaux :Méta, Macro, Méso et Micro.
LiensDe différente nature et éventuellement combinés : géographiques, intellectuels sociaux, économiques…, qu’il soient formels ou informels.
ActeursImpliqués dans cet écosystème le plus souvent constitué d’organisations et de travailleurs du savoir.
ProjetsPrometteurs, à caractère souvent disruptifs et issus de productions interactives entre les quatre composantes précédentes.

Ces deux tableaux combinés permettent me semble-t-il, de bien saisir ce que recouvre, dans une perspective renouvelée , la dynamique de l’innovation collaborative dans le cadre d’un écosystème prometteur. Cet écosystème pouvant être présenté comme une forme assimilable à un réseau d’affaires au sein duquel différents acteurs, organisations et parties prenantes interagissent de manière coopérative, mais aussi sous forme compétitive, en vue de faire émerger précisément des innovations.

En quoi la révolution numérique et la crise actuelle sont des accélérateur de l’innovation collaborative ?

La révolution numérique, constitue à coup sûr un accélérateur contributif de l’innovation collaborative, notamment à travers la multiplication potentielle des échanges entre acteurs et organisations. Les interactions numériques accroissent donc incontestablement la possibilité de faire émerger des idées nouvelles et prometteuses. Mais ces interactions nécessaires ne sont pas totalement suffisantes. Il va en effet de soi que ces échanges numériques (y compris dans une certaine mesure les dispositifs de type visio-conférences), doivent être nécessairement combinés avec des échanges en proximité physique et sociale. Ils apportent, de par leur nature, un surplus d’authenticité ainsi qu’ une dimension singulière irremplaçable, indispensable à l’innovation collaborative de proximité.

La crise actuelle associée à la pandémie, a conduit, comme on le sait,  à l’accroissement de l’usage de ces dispositifs de visio-conférences qui comportent indéniablement des avantages, bien qu’ils ne remplacent jamais totalement, comme indiqué, les interaction en proximité physique. Ils contribuent à coup sûr,  à repenser profondément nos manière de travailler, de réfléchir et d’innover…. Le télétravail quasi complet mise place par certaines firmes, me parait toutefois à certains égard bien dangereux, notamment au regard de la perte du lien social, voire du sentiment d’appartenance à « son » entreprise. Il participe qu’on le veuille ou non à une forme de ségrégation physique et intellectuelle entre – pour simplifier largement – les cols blancs (travailleurs du savoir pour faire très court) et les cols bleus (physiquement asservis à leur lieux de travail). Cela dit, on imagine pas des personnels très qualifiés (pilotes d’avion ou de TGV), faire du télétravail….

Quels conseils donneriez-vous à une entreprise pour développer son écosystème et le rendre vertueux ?

Tout dépend naturellement de la taille, de la stratégie, des enjeux, etc., de l’entreprise. Mais il est bon de rappeler que dans un univers de business (comme d’ailleurs dans d’autres univers), la puissance et l’usage approprié des réseaux sociaux personnels et professionnels, constituent un capital social propice à développer des collaborations fructueuses. Ce qui implique une capacité à nouer des relations propices à des interactions prometteuses, notamment à travers des contacts en vue de collaborations avec des start-up, des chercheurs, des clients (tels les leads users), des communautés et des plateformes d’innovations, etc., propices à s’insérer dans un écosystème partenarial.

Les grands firmes éclairées, notamment dans le prolongement des travaux de Chesbrough, ont ainsi bien saisi les bénéfices collaboratifs qu’elles pouvaient retirer, notamment de par leur position de leader et d’orchestrateur, dans le cadre d’interactions écosystémiques intelligentes sans s’ériger en dominateur, voire en prédateur, comme cela peut arriver… De même que de manière combinée, des firmes plus modestes, également éclairées, ont également saisi les opportunités d’intégrer de manière partenariale ce type d’écosystème.

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