Jurisprudence : Rejet des dépenses de R&D immobilisées et déclarées en dotations aux amortissements dans l’assiette du CIR

Un arrêt de la cour d’appel Toulouse du 29 juillet 2024 rejette des dépenses de développement immobilisées et déclarées en dotations aux amortissements dans l’assiette du crédit d’impôt recherche.

Une société exerçant une activité de recherche et de développement en biotechnologies, présente une demande de remboursement de crédit d’impôt recherche, au titre de dépenses engagées le cadre de ses projets reconnus éligibles.

En l’espèce, la société a pris en compte au titre des dépenses au crédit d’impôt recherche, des dotations aux amortissements des immobilisations de ses dépenses de recherche, la société ayant inscrit à l’actif de son bilan ces dépenses.

Le tribunal d’administratif de Montpellier suivi de la cour administrative de Toulouse ont estimé que les dépenses de développement de la société ne pouvait être inscrite à l’actif de son bilan de dépense de recherche faute pour la société de pouvoir justifier que les immobilisations litigieuses se rapportaient à :

  • Des projets nettement individualisés ayant de sérieuses chance de réussite technique au sens du 1 de l’article 212-3 du plan comptable ;
  • Des projets présentant de sérieuses chances de rentabilité commerciale prévue par les dispositions de l’article R 123-186 du code de commerce et de l’article 212-3 du plan comptable général.

La cour en profite pour rappeler également que l’absence de remise en cause par l’administration de la pratique de la société en matière d’immobilisation des dépenses de recherche au titre d’une période antérieure à celle en litige ne peut constituer une prise de position formelle au sens de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales.

Analyse de nos experts fiscalistes

La question que nos clients nous posent souvent est de savoir s’il est possible de cumuler la même année, l’inscription à l’actif de son bilan de dépenses de recherche et la prise en compte des dotations aux amortissements correspondantes dans l’assiette de son crédit d’impôt recherche (CIR) ?

Le BoFIP, nous donne des éléments de réponse :

« Il convient, en outre, de préciser que les dispositions prévues à l’article 244 quater B du CGI relatives au crédit d’impôt recherche sont distinctes de celles prévues à l’article 236 du CGI. Ainsi, les coûts de développement, bien qu’immobilisés sur le plan comptable au choix de l’entreprise, peuvent être portés sur la déclaration de crédit d’impôt recherche souscrite au titre de l’année au cours de laquelle ils ont été exposés, dès lors que ceux-ci correspondent de par leur nature aux dépenses éligibles énumérées au II de l’article 244 quater B du CGI.

Il appartient à l’entreprise de reconstituer, à partir de coûts globalisés et immobilisés, le montant de chaque catégorie de dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche, de déclarer ces dépenses dans les rubriques correspondantes de la déclaration précitée et de justifier de ces montants en cas de contrôle.

Bien entendu, les dépenses ainsi incluses dans l’assiette du crédit d’impôt ne doivent pas être prises en compte une seconde fois par le biais des amortissements relatifs à l’immobilisation incorporelle liée à l’activation des coûts de développement. Il est donc confirmé que le crédit d’impôt recherche n’est conditionné que par la nature et la réalité des dépenses exposées par les entreprises et le caractère scientifique et technique des programmes auxquels elles se rapportent, indépendamment de leur mode de comptabilisation (RM Feltesse n° 12558, JO AN du 19 mars 2013, p. 3058). »

Ainsi, les coûts de développement, bien qu’immobilisés sur le plan comptable au choix de l’entreprise, peuvent être portés sur la déclaration de crédit d’impôt recherche souscrite au titre de l’année au cours de laquelle ils ont été exposés.

En pratique, comme nous pouvons le constater à la lecture de cette décision, la réponse est à nuancer. En effet, les dispositifs sont distincts et s’appuie sur des critères d’éligibilités bien différents :

Concernant le CIR :

L’administration fiscale précise que seules les opérations qui visent à dissiper des incertitudes scientifiques et/ou technologiques sont éligibles au CIR.

Chaque opération de R&D vise à répondre à une question scientifique et technique et cherche à lever une difficulté rencontrée lors de l’élaboration de ce projet pour laquelle aucune solution n’existe (notion de verrou). Les travaux doivent entrainer un écart appréciable par rapport à la pratique répandue dans votre domaine et doivent reposer sur une technicité qui se distingue d’un savoir-faire commun courant dans votre profession en faisant intervenir des ingénieurs et techniciens.

Vos travaux possèdent Explication
Un élément de nouveauté Ce sont les nouvelles connaissances, et non les produits ou procédés nouveaux ou fortement améliorés résultant de leur application qu’il convient de mesurer.
Un élément de créativité Appliquer des concepts nouveaux ou des idées nouvelles de nature à améliorer l’état des connaissances.
Un élément d’incertitude La probabilité de résoudre la difficulté rencontrée, ou la façon d’y parvenir, ne peut être connue ou déterminée à l’avance d’après les connaissances identifiables.
Une démarche scientifique systématique L’activité est structurée et est exécutée de manière systématique (planifiée et consignée – ce n’est pas un tâtonnement).
Une réutilisabilité des connaissances acquises Une opération de R&D devrait déboucher sur la possibilité de transférer les nouvelles connaissances acquises, en garantissant l’utilisation et en permettant à d’autres chercheurs de reproduire les résultats obtenus dans le cadre de leurs propres activités de R&D (en interne en premier lieu).

Concernant l’activation des frais de développement :

Les coûts doivent se rapporter à des projets nettement individualisés, ayant de sérieuses chances de réussite technique et de rentabilité commerciale.

En application de l’article 213-27 du PCG, les coûts engagés lors de la phase de recherche doivent dans tous les cas être comptabilisés en charge. En revanche, les coûts engagés lors de la phase de développement peuvent être comptabilisés à l’actif. Il est ainsi nécessaire de bien distinguer recherche et développement :

  • Phase de recherche : elle consiste en de la recherche générale, non appliquée à un projet de production précis.
  • Phase de développement : il s’agit des frais de conception et de tests d’un produit notamment.

Les coûts engagés lors de la phase de développement peuvent être comptabilisés à l’actif à la condition qu’ils se rapportent à des projets nettement individualisés, ayant de sérieuses chances de réussite technique et de rentabilité commerciale. L’entreprise doit par conséquent démontrer qu’elle remplit simultanément les critères cumulatifs suivants :

    • La faisabilité technique nécessaire à l’achèvement de l’immobilisation incorporelle en vue de sa mise en service ou de sa vente ;
    • L’intention d’achever l’immobilisation incorporelle et de l’utiliser ou de la vendre ;
    • La capacité d’utiliser ou de vendre cette immobilisation incorporelle ;
    • La capacité de l’immobilisation incorporelle à générer des avantages économiques futurs ; l’entreprise doit notamment démontrer l’existence d’un marché pour la production issue de l’immobilisation incorporelle ou pour l’immobilisation incorporelle elle-même ou, si celle-ci doit être utilisée en interne, son utilité ;
    • La disponibilité de ressources (techniques, financières et autres) appropriées pour achever le développement et utiliser ou vendre l’immobilisation ;
    • La capacité à évaluer de façon fiable les dépenses attribuables à l’immobilisation incorporelle au cours de son développement.

Sur le plan comptable, les frais de développement ne sont activables qu’à partir de la date à laquelle les six conditions d’activation requises sont remplies. Les dépenses comptabilisées antérieurement à cette date ne peuvent plus être activées (article 212-3 du PCG).

En conclusion : Les projets concernés devront respecter les critères d’éligibilité des deux dispositifs. En pratique, les projets devront être « faisable techniquement » tout en comportant une certaine incertitude technique et scientifique.  La justification est ardue comme en témoigne la décision étudiée aujourd’hui, mais pas impossible, comme le prévoit le BOI.

Bonnes pratiques conseillées par nos experts fiscalistes

La complémentarité du travail de l’expert-comptable ou du DAF avec un cabinet de conseil ayant une expertise scientifique et financière pointue est la stratégie gagnante pour capitaliser sur vos frais de recherche et développement !

En effet, l’activation à l’actif des frais de développement est une décision de gestion de l’entreprise qui aura un impact sur le CIR. L’immobilisation de certains projets de R&D ne sera pas compatible avec le dispositif du CIR. De plus, la méthode de l’inscription à l’actif des coûts éligibles est préférentielle, ce qui signifie qu’elle est définitive, sauf cas exceptionnel de changement de méthode.

En amont, un travail d’analyse séparée sera nécessaire. Un premier pour valider les critères concernant l’activation à l’actif, (l’activation éventuelle des travaux de développement doit être réalisée au regard des règles comptables relatives aux frais de développement en application de l’article 213-27 du PCG)  et le  second pour valider les critères d’éligibilité au CIR (par rapport aux règles fiscales du CIR sur la base des textes fiscaux et notamment sur celle de l’article 244 quater B du CGI, et indépendamment de l’option comptable retenue).

Le périmètre d’éligibilité de vos travaux de R&D au CIR sera donc à réaliser au cas par cas et l’entreprise devra réaliser des dossiers justificatifs distincts et cohérents.

Il appartient à l’entreprise de reconstituer, à partir de coûts globalisés et immobilisés, le montant de chaque catégorie de dépenses éligibles au CIR, de déclarer ces dépenses dans les rubriques correspondantes de la déclaration précitée et de justifier de ces montants en cas de contrôle.

L’assiette du CIR ne sera pas la même que pour l’activation en immobilisation et il faudra veiller à ne pas prendre en compte dans l’assiette du CIR deux fois une même dépense.

Nous conseillons donc nos clients de bien formaliser leurs travaux de R&D avec un suivi des temps précis détaillant les différentes phases des projets et les tâches réalisées.

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